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"La situation est ingérable" : pourquoi l'Éducation nationale est à court d'enseignants remplaçants
FRANCOIS LO PRESTI / AFP

"La situation est ingérable" : pourquoi l'Éducation nationale est à court d'enseignants remplaçants

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Dans les écoles, l'épidémie de Covid-19 provoque une situation intenable pour le personnel de l'Éducation nationale. Tandis que les contaminations se multiplient, touchant donc les enseignants et les contraignant à s'arrêter, le vivier de remplaçants est à sec.

L'Éducation nationale est au bord de l'implosion. Ses coutures, déjà fragiles hors temps de pandémie, s'étirent, craquent. Les chiffres du ministère, communiqués à l'occasion de son dernier point de situation vendredi 26 mars, sont éloquents. Sur tout le territoire national, 3 256 classes ont été fermées, 21 183 élèves ont été testés positifs, mais surtout 2 515 membres du personnel. Et, bien que non comptabilisés, les cas contacts suivent le même mouvement à en croire les remontées de terrain des différents syndicats. Une situation qui provoque arrêts de travail sur arrêts de travail du côté des enseignants. Problème : le vivier des remplaçants est à sec. Menaçant ainsi la capacité des établissements d'accueillir son public.

Cette pénurie de remplaçants touche tous les territoires. Plus particulièrement les zones très denses qui sont aussi celles plus touchées par l'épidémie. Dans le Nord, par exemple, le co-secrétaire du Snuipp-FSU, Alain Talleu, interrogé par Libération, rapporte que 450 remplacements n'ont pu être effectués faute de ressources alors que le vivier compte habituellement entre 1 200 et 1 500 professeurs… Autant de personnel d'ores et déjà mobilisé sur le terrain pour pallier les absences.

Tout va très bien, selon le ministre

Dans le Rhône, selon Le Figaro, le nombre de classes sans enseignant est passé de 150 il y a dix jours à 300 aujourd’hui. Du côté du département de l'Ain, où 35 classes sont dans ce cas, le Snudi-FO 01 exige de faire appel aux professeurs stagiaires de la liste complémentaire du concours de recrutement de professeurs des écoles… En banlieue parisienne, les écoles de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) s'inquiètent de devoir rester ouvertes sans enseignant ou presque, rapporte France 3… Une situation qui dure depuis de longues semaines selon les syndicats.

Qu'importe, à en croire Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, tout va bien ou presque. Interrogé à ce propos à l'antenne de RMC le 19 mars, il affirme que 94 % des absences sont remplacées grâce aux près de 25 000 enseignants affectés en brigade de remplacement sur tout le territoire. "Il y a évidemment parfois des difficultés de remplacement mais qui sont, je dirais, un moindre mal. […] On peut toujours me citer un dysfonctionnement ci et là, ça peut toujours exister. Mais globalement, l’école de la République fonctionne en ce moment".

Une profession qui n'attire plus

Pourtant, même du côté des fervents défenseurs de l'ouverture des établissements, le ton change face à cette situation ubuesque et jamais vue. C'est notamment le cas de Laurent Hoefman, président du syndicat national des écoles (SNE), qui a toujours milité pour que les établissements assurent leur mission de service public, surtout en ces temps troublés. "On était favorable au maintien des cours, concède-t-il. Mais depuis quelques semaines, les conditions font que ça n'est plus possible. La situation est intenable, ingérable. Si on est obligés d'accueillir sans enseignant, donc de surcharger des classes pour les accueillir malgré tout, on va favoriser la propagation du virus. Le ministre dit qu'il ne faut pas fermer. C'est très bien d'avoir une volonté politique, mais ça ne doit pas devenir une obstination qui masque la réalité. D’autant plus que l'école est une immense source de propagation aujourd'hui…".

Une pénurie de remplaçants que Laurent Hoefman explique par trois éléments. D'abord, depuis le début de la pandémie, des enseignants jugés "vulnérables" avec des "pathologies particulières" ont été placés en arrêt de travail par une dérogation spéciale d'absence pour leur éviter tout risque. "Les remplaçants habituels ont été affectés sur leurs classes et cela a quasiment épuisé le vivier très tôt", précise-t-il.

Ensuite, bien sûr, les tests positifs bien plus nombreux actuellement et donc les cas contacts, multiplient les classes sans tête. Enfin, raison plus lointaine cette fois, malgré le recrutement annoncé en décembre 2020 de 6 000 contractuels pour combler les absences, "très peu de postes ont été pourvus", selon le président du SNE. "Soit les gens n'ont pas le profil, soit il n'y a pas de candidat, se désole-t-il. Ça rejoint un autre problème : l'attractivité du métier. Plus personne ne veut faire ce métier trop mal reconnu…". Pour preuve, en 2020, dans le premier degré, le concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) a enregistré une baisse des inscrits d’un peu plus de 3 %.

Des réponses d'urgence

Face à cette situation, le ministère tente de répondre à l'urgence "en demandant à ceux qui travaillent à temps partiel s'ils veulent bien travailler à temps complet, ou en exigeant des professeurs déchargés pour diverses raisons d'y renoncer temporairement, ou encore en sollicitant les personnels du Rased (Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, N.D.L.R.) ou de classes dédoublées pour qu'ils reprennent une classe entière", rapporte le syndicaliste.

Des solutions de court terme qui ne peuvent régler le problème durablement. "Surtout actuellement où il y a deux injonctions contradictoires, décrit une enseignante des Hauts-de-Seine. On doit accueillir les élèves et on ne doit pas brasser les groupes. Sauf que les absences s'enchaînent alors comment fait-on ? Nous sommes obligés de briser les règles du protocole, de mélanger des élèves qui ne devraient pas se croiser, de surcharger des classes… Tout cela en oubliant la pédagogie. Nous essayons simplement de faire entrer des carrés dans des ronds".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne