Éducation : pouvoir et limites des neurosciences

Pour être plus efficaces, les pratiques pédagogiques doivent être éclairées par les sciences. Une démarche légitime à condition de ne pas trop en attendre.

Par Charles Hadji* ()

Jean-Michel Blanquer a annoncé la création d'un Conseil scientifique de l'éducation nationale, présidé par le spécialiste des neurosciences, Stanislas Dehaene. 

Jean-Michel Blanquer a annoncé la création d'un Conseil scientifique de l'éducation nationale, présidé par le spécialiste des neurosciences, Stanislas Dehaene. 

© Nicolas TAVERNIER/REA

Temps de lecture : 6 min

L'automne n'est décidément pas une bonne saison pour l'école française. Les enquêtes Pisa apportent régulièrement leur lot de nouvelles préoccupantes sur les performances en mathématiques des élèves de 15 ans. En ce qui concerne la lecture, les résultats de l'enquête Pirls (Programme international de recherche en lecture scolaire, touchant les écoliers de CM1) n'étaient pas très bons en 2012. Ceux de 2017 sont encore plus mauvais, au point de déclencher une prise de parole quasi immédiate du ministre de l'Éducation nationale.

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La prise en compte des données apportées par ces enquêtes, dont le caractère préoccupant est indéniable, impulse logiquement une double recherche : des responsables et des solutions. On peut admettre qu'une partie de la responsabilité (au moins) appartient à la pédagogie, et qu'en conséquence une partie de la solution est d'améliorer celle-ci. Mais alors, comment ? Les pistes proposées par le ministre, avec en particulier la création d'un Conseil scientifique de l'éducation nationale (CSEN), sont-elles les bonnes ?

Ce que veut dire apprendre

Commentant déjà des résultats produits par des enquêtes Pisa et Pirls, Antoine Prost, dans  Le Monde du 21 février 2013), « sonnait le tocsin » en reconnaissant que le niveau scolaire baissait vraiment. Mais il avertissait que le « vrai problème de pédagogie » que nous avons « ne se résoudra pas en un jour ». Et ajoutait que la seule façon d'« enrayer cette régression » est de « faire travailler plus efficacement les élèves ». Ce qui nous semble incontestable.

Pour rendre l'école plus efficace, il apparaît donc à la fois nécessaire et urgent de travailler à l'émergence de ce que Marcel Gauchet a désigné (Le Monde du 22 mars 2013) comme « une pédagogie véritablement éclairée », laquelle, pour lui, restait à inventer. Or, si nous ne savons toujours pas comment enseigner de façon vraiment efficace, c'est essentiellement, avertissait Gauchet, parce que nous ne savons pas encore ce que veut dire apprendre.

La recherche d'une plus grande efficacité exige ainsi un déplacement de curseur, d'une focalisation sur l'acte de « transmission » du professeur à une focalisation sur l'acte d'appropriation qu'opère l'élève qui apprend, dans l'espoir de donner un fondement solide à cet acte. C'est pour atteindre cet objectif que monsieur Blanquer mise sur « la lumière des sciences ».

Un éclairage par les sciences n'a aucun pouvoir automatique de transformation des pratiques pédagogiques.

La tâche prioritaire de la pédagogie est bien alors aujourd'hui de se centrer sur l'acte d'apprendre en étant éclairée par toutes les disciplines pouvant légitimement apporter un savoir utile, qui soit susceptible de donner consistance à l'activité d'enseignement, laquelle a pour fin principale de faciliter le déploiement de cet acte d'apprendre. Avec l'espoir de sortir du débat d'opinion, en s'appuyant ainsi « sur ce qui est prouvé et ce qui marche à la lumière des sciences ».

Lire aussi Éducation - Blanquer : « Il faut davantage s'appuyer sur ce qui est prouvé »

Mais alors il y a lieu de s'interroger sur le sens, et la portée, de l'expression « lumière des sciences ». Car il ne faudrait pas perdre de vue deux considérations qui nous paraissent essentielles, et de nature à prévenir des empressements excessifs ou des choix contestables. La première est que toutes les contributions seront les bienvenues, et qu'aucune approche n'a le monopole de la connaissance de l'« apprendre ». La seconde est que, bien qu'il soit indispensable, un éclairage par les sciences n'a aucun pouvoir automatique de transformation des pratiques pédagogiques : la pédagogie sera toujours à inventer.

Pour progresser vers une « pédagogie vraiment éclairée », trois apports (et non un seul) nous semblent aujourd'hui précieux.

Le premier est, en effet, celui des connaissances produites par la neurobiologie. Si les tenants d'une neuro-éducation, d'une part, vont souvent un peu vite en besogne et, d'autre part, se laissent trop facilement prendre au mythe d'une possible éducation scientifique, il n'en reste pas moins vrai que l'acte d'apprendre a une dimension neuronale incontestable, que le cerveau y joue un rôle essentiel et que tout ce qui nous aide à comprendre les mécanismes cérébraux est utile à la progression dans la connaissance des conditions de construction des savoirs comme outils ou objets mentaux.

Un apprentissage actif, contrôlé par le sujet lui-même, et à forte dimension collaborative.

Ayant moi-même souligné, dès 1984, l'apport décisif des travaux de Jean‑Pierre Changeux pour la connaissance des processus d'apprentissage (« Neurobiologie et pédagogie : l'homme neuronal en situation d'apprentissage »Revue française de pédagogie n° 67, 1984), je ne peux qu'approuver Stanislas Dehaene (devenu depuis président du nouveau CSEN) lorsqu'il insiste (Le Monde du 5 novembre 2011) sur la nécessité de « prendre en compte les avancées de la recherche » en ce domaine. Mais à la condition expresse de ne pas croire que ces avancées feront de l'activité d'enseignement une science.

Un deuxième éclairage est apporté par les travaux portant sur l'apprentissage autorégulé (self-regulated learning, ou SRL), qui ont permis de comprendre en quel sens l'autorégulation pouvait être vue à la fois comme un fait fonctionnel fondamental, et comme un idéal pour l'action éducative. Horizon d'une activité d'enseignement se voulant efficace, la maîtrise par le sujet qui apprend de ses propres processus d'apprentissage est aussi le moyen de tendre vers cet horizon (Hadji, 2012).

Enfin, la révolution numérique apporte un troisième éclairage. Si les outils et possibilités nouvelles qu'elle offre ne sont pas automatiquement synonymes de révolution pédagogique, et s'il ne faut pas croire que les nouvelles technologies pourront tout résoudre, la mise en œuvre des possibilités offertes par ces technologies nous permet de redécouvrir les trois grandes caractéristiques d'un apprentissage efficace : un apprentissage actif, contrôlé par le sujet lui-même et à forte dimension collaborative.

La difficulté de l'expérimentation

Mais, s'il existe, selon les termes de Stanislas Dehaene (Le Monde des 22 et 23 décembre 2013), « une approche scientifique de l'apprentissage », cela ne permet nullement de conclure avec lui qu'« enseigner est une science ». L'efficacité éducative ne peut pas être prouvée a priori. L'utilité des pistes proposées par la neurobiologie, l'apprentissage autorégulé et la révolution numérique demandera à être éprouvée dans une mise en œuvre « expérimentale ». Il faut essayer pour voir si vraiment « ça marche ». L'évaluation, nécessaire, ne peut venir qu'a posteriori, et n'apportera, compte tenu de la multiplicité des facteurs en cause et de la difficulté, pour ne pas dire de l'impossibilité, d'établir des « groupes contrôle » (« Les dossiers de la Depp », 207), qu'une « preuve » toujours relative et limitée de l'efficacité d'une stratégie éducative.

Les situations d'apprentissage sont toujours à inventer. Mais telle est justement la vocation de la pédagogie, comme « invention minutieuse et obstinée de dispositifs utilisables ici et maintenant », selon la belle formule de Philippe Meirieu (Meirieu-Cédelle, 2012, p. 183). Même si l'on se fondait sur une parfaite connaissance de l'acte d'apprendre, l'élaboration et la mise en œuvre de situations susceptibles d'optimiser cet acte relèveraient encore et toujours d'un certain bricolage. Ainsi, bien que la pédagogie, comme pratique, puisse trouver un fondement solide dans les apports des sciences éclairant les différentes dimensions de l'acte d'apprendre, l'approche scientifique de l'apprentissage n'a pas le pouvoir de faire de l'enseignement une science. Le légitime désir de dépasser le débat d'opinion ne doit pas nous jeter dans les bras d'un scientisme illusoire.

The Conversation

*Professeur honoraire (sciences de l'éducation), Université Grenoble-Alpes

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Commentaires (8)

  • libertarien

    Une seule fois dans ma vie n'est pas coutume, que je sois d'accord avec le Monde et qu'une pédagogie efficace ne soit pas encore inventée (chez nous) qu'est que c'est que nous impecherait de copier et adapter, pour nos très chères plus ou moins blondes têtes, la méthode pédagogique qui a démontré son efficacité dans les pays en haut de l'affiche ?

  • 61point

    La science fut elle cognitivisme ne peut se substituer à l'humain qui ne semer pas en équation. Entre les désirs, les besoins des élèves, les désirs les besoins, les textes officiels et leurs injonctions, les rapports d'empathie ou d'antipathie avec leur public, la science ne peut oublier qu'enseigner est aussi un art et que l'effet maître que l'on sait important n'est pas une constante dans le corps des enseignants pas plus que dans celui des parents. Pour autant le fonctionnement humain très lié à la biochimie et aux hormones mérite être éclairci afin de comprendre les résistances qui fragilisent toute démarche éducative. Je souhaite plein de courage aux jeunes enseignants qui doivent évidemment rendre une École plus en accord avec une société morcelée voire déchirée, les neurosciences ont aussi à prendre en compte d'autres paramètres tout aussi fondamentaux.

  • Le sanglier de Génolhac

    Quels que soient les moyens, l'argent, les effectifs, les théories, les réformes mis en place, l'échec est inscrit. Pourquoi ? Mais parce que la matière ne se prête pas à recevoir l'enseignement. C'est comme ça. Ca fait quarante ans et plus que c'est comme ça. Si dans une classe à trente élèves vous avez cinq "primo-arrivants" (donc non francophones), c'est déja mission quasiment impossible. A dix, la classe est en vacances. Sauf que là, les autres s'en vont et "ils" restent entre eux. Qui se souvient de ce maire qui "se réjouissait que dans sa commune et donc dans ses école se côtoient quatre vingt (oui, quatre vingt) nationalités ? Il aurait alors fallu demander leur avis aux enseignants de la ville. Du ministre, de l'E. N, de tout ce qui gravite autour et dedans, il n'y a plus qu'une chose à attendre : Des discours. Et fumeux comme il se doit.