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Manifestation des profs à Paris : «On se caille les miches, dégelez le point d'indice»

Plusieurs milliers de professeurs et élèves ont répondu à l’appel des syndicats contre la réforme de l’enseignement en manifestant jeudi, jusque devant le ministère de l'Education nationale. Une journée de grève nationale est prévue le 5 février.
par Charles Delouche-Bertolasi, photos Marie Rouge
publié le 24 janvier 2019 à 19h37

Devant les grilles du parc du Luxembourg à Paris et sous l’œil intrigué des habitants du quartier, les manifestants se retrouvent dans une atmosphère bon enfant. Sous les ballons du syndicat national des enseignants de second degré, de nombreux professeurs et leurs élèves sont rassemblés. Tenues à bout de bras ou accrochées autour du cou, les pancartes des enseignants expriment le ras de bol ambiant. Suppression des centres d’informations et d’orientations, moyens insuffisants, mise en concurrence abusive entre profs titulaires et les autres. Il y a de l’exaspération chez les manifestants, enseignants comme élèves.

Photo Marie Rouge pour Libération

Au milieu de la foule, deux hommes se serrent la main. Nico, 17 ans, élève au lycée Victor Hugo, vient de croiser un de ses anciens profs d'histoire aux faux airs de Henry Fonda. «Au lieu de supprimer des postes, la réforme devrait être tournée vers une revalorisation du statut de prof, affirme Nico. Je ne suis pas vraiment inquiet pour moi car j'ai plutôt un bon parcours et un bon dossier. Mais je suis là en soutien, par solidarité. Ce que le gouvernement annonce au sujet de la hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, ce n'est juste pas possible.»

Photo Marie Rouge pour Libération

Devant la station Port Royal et le Crous de Paris, la marche s'arrête. Le cortège s'étend tout le long du boulevard. Geoffrey, 27 ans, est un habitué des manifestations. Professeur d'EPS au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis, il est comme ses collègues, opposé à la réforme de Jean-Michel Blanquer. «Nous sommes dans une situation où aujourd'hui il y a plus de postes de prof à pourvoir que de candidatures. C'est un métier qui n'attire plus, alors les collèges et lycées sont obligés de faire appel à des gens qui ne sont pas formés», regrette le jeune homme qui pointe aussi l'augmentation des horaires des professeurs. «J'ai vingt heures de cours par semaine mais nous devons aussi préparer nos leçons et corriger des copies pour certains. Tout ce temps-là n'est pas pris en compte.» Derrière lui, un groupe mené par les enseignants du collège Jean-Jaurès de Montreuil (Seine-Saint-Denis), donne de la voix. «On a froid, on se caille les miches, dégelez le point d'indice !» chantent les manifestants menés par un collègue professeur, mégaphone sous le bras.

Manque d'implication

Au-devant du défilé, une centaine de lycéens mène la procession en direction de la rue de Grenelle. Haut perchées et déterminées, les voix qui appellent à la démission du président Emmanuel Macron sont jeunes. Lycéens et étudiants avancent au rythme de Rock the Casbah des Clash poussé au maximum sur les enceintes. François, élève à l'école Alsacienne, le très élitiste établissement privé dans le VIe arrondissement de Paris, essaie de rouler une cigarette en marchant : «Je suis venu seul. C'est un peu difficile de motiver mes camarades lycéens.» Favorable à la convergence des luttes, il regrette le manque d'implication de ses partenaires. «Je ne suis pas à plaindre, mais si les privilégiés ne se rendent même pas compte de leur chance et de la nécessité de venir manifester en soutien aux autres, alors on n'arrivera à rien.»

Photo Marie Rouge pour Libération

Outre la réforme du lycée, la manifestation a fédéré d'autres mécontentements dont celui qui porte sur l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers. Au cœur du cortège, une banderole est portée par les étudiants de l'Institut des hautes études de l'Amérique latine. Avec son drapeau de l'Unef à la main, Walter participe à sa toute première manifestation en France. Etudiant en première année de licence de géographie et d'aménagement, il est directement concerné par la hausse prévue des frais de scolarité pour les étudiants étrangers : «Je suis venu du Pérou avec un budget, un plan très serré pour pouvoir faire mes études en France.» Le jeune homme est pessimiste quant à son avenir dans le pays. «Si la réforme passe, je serai bien forcé de rentrer chez moi. Ce n'est pas ce que je veux.»

Arrivée boulevard Raspail, la marche s'arrête. La préfecture n'a autorisé le rassemblement que jusqu'à 17 heures. Le cortège se disperse dans le calme. Environ 200 personnes, dont beaucoup de lycéens et étudiants, décident d'aller devant le ministère de l'Education nationale. Ils se retrouvent vite bloqués face à un cordon de CRS. Bruno, professeur de lettres/histoire au lycée professionnel Pierre Mendes France de Villiers-le-Bel dans le Val-d'Oise, est lui aussi venu manifester seul : «Plutôt que de nous proposer de faire toujours plus d'heures supplémentaires, je préférerai qu'on embauche des gens.» Egalement gilet jaune, l'enseignant compte bien être présent à la journée de grève nationale prévue le 5 février. «Tous ensemble, ça bougera sûrement un peu plus

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