Des algorithmes pour épauler les professeurs : comment l'intelligence artificielle peut lutter contre l'échec scolaire

Publié le 9 janvier 2019 à 14h53

Source : JT 20h Semaine

FUTURAMA - Les experts en futurologie du numérique l'affirment : l’intelligence artificielle va tout chambouler, y compris dans le domaine de l'enseignement. Le mois dernier, à l'occasion des Assises de l'Intelligence artificielle, le ministre de l'Education Jean-Marie Blanquer a notamment évoqué les nombreuses possibilités offertes par cette technologie dans la lutte contre le décrochage scolaire.

En Chine, le cours de M. Xiaoyong fait figure d’exception. Dans sa salle de classe, on entend presque les mouches voler. Pas de bavardages, ni d’élèves avec la tête en l’air. Les étudiants écoutent religieusement leur professeur. Depuis maintenant deux ans, ce dernier utilise une intelligence artificielle (IA), couplée à un système de reconnaissance faciale, qui analyse les visages des apprenants. Ce dispositif permet, explique l’enseignant chinois, de savoir en temps réel s’ils s’ennuient ou pas. M. Xiaoyong s’en sert comme base pour améliorer le contenu de ses cours et mieux capter l’attention de son auditoire.

Rassurons-nous, chez nous, un tel dispositif n’est pas à l’ordre du jour dans l’agenda du ministre de l’Education nationale. Invité des "Assises de l’intelligence artificielle pour l’école", qui se déroulaient fin décembre à l’Institut de France, à Paris, Jean-Michel Blanquer a avancé les ambitions de la France dans le domaine des nouvelles technologies pour l’apprentissage, tout en rappelant que l’humain resterait toujours au cœur de la fonction de l’enseignement. Car c'est bien là le sujet : à l'heure où Internet modifie notre accès à la connaissance, le rôle du professeur est remis en cause.

L’Adaptative learning, c’est quoi ?

Le jour où les robots prendront la place des profs n'est cependant pas encore venu. Mais des programmes d'IA, capables d'épauler l'enseignant durant ses cours, sont déjà en cours d'expérimentation dans des écoles de l'Hexagone. L’été dernier, le premier "instit’" de France a par exemple initié un partenariat d'innovation avec la Caisse des dépôts. Doté d’un fond de 8 millions d’euros, ce programme-pilote doit servir à financer la recherche et développement de six solutions innovantes pour l'apprentissage du français et des mathématiques à l’école primaire.

L'une des plus avancées en la matière se nome Lalilo. Cette application permet aux instituteurs de personnaliser l’apprentissage de la lecture. Cet assistant pédagogique dit 'intelligent" s'adapte au rythme de l'enfant, grâce à ce qu’on appelle l'apprentissage adaptatif ("adaptative learning", en anglais). "Ce n’est rien de plus que ce que faisait le professeur de campagne quand il avait cinq élèves dans la classe. Il pouvait donner des exercices différents à chaque élève, en fonction du niveau de chacun. Grâce à l’IA, on peut le faire avec des classes de trente élèves", souligne à LCI Marie-Christine Levet, présidente d’EduCapital, un fonds d'investissement spécialisé dans les start-up de l'éducation. En ligne de mire : la lutte contre le décrochage scolaire. 

Détecter les élèves en difficulté

Tous les ans, pas moins de 80.000 adolescents quittent en effet le système scolaire, sans la moindre qualification, d'après les derniers chiffres du ministère de l'Education nationale. "Ces dernières années, les neurosciences nous ont appris que chacun apprend et mémorise de manière différente. Et beaucoup d’élèves n’osent pas lever la main en classe pour dire au professeur qu’ils n’ont pas compris", constate pour LCI Guillaume Leboucher, fondateur et président de l’association "L'IA pour l’Ecole".

L’application Nota Bene, en cours de développement au sein du Lab’ Openvalue, utilise ainsi la reconnaissance vocale et l’IA pour retranscrire, synthétiser et mettre en avant les points clés du cours. "De quoi permettre d'éviter le décrochage scolaire, en détectant les élèves en difficulté, tout en tirant vers le haut les plus performants", reprend Guillaume Leboucher. Le principe : si des élèves souhaitent approfondir certains points, ils peuvent l'indiquer en temps réel au professeur d’un simple clic depuis l’application. L'enseignant pourra ainsi avoir une meilleure connaissance de ses élèves.

Une IA pour noter les élèves ?

Autre piste à l’étude, la notation automatique. "Un robot assisterait le professeur pour évaluer les devoirs des élèves. Il corrigerait 80% de la copie et le professeur ajouterait le commentaire final. Ce serait un gain de temps énorme pour ce dernier. Nous en sommes au tout début, la technologie sera disponible d’ici deux ou trois ans", prédit Guillaume Leboucher. Dans cette optique, un obstacle demeure : le manque de données pour former les IA. Le ministère de l’Education se retient dans l’exploitation des données pour ne pas être soupçonné d’avoir un traitement individuel et nominatif des cas. Or, sans accès à ces données, impossible de développer des outils performants, poursuit le président de l'association "L'IA pour l'école". 

Pour y remédier, "L'IA pour l'Ecole" propose, par exemple, de numériser toutes les copies du baccalauréat. "La collecte se ferait de manière anonyme : on ne connaîtrait pas le nom de l’élève, mais juste un numéro qui lui est attribué. Cela permettrait de créer des profils. Grâce à ces milliards de données, un algorithme pourrait détecter les enfants qui ont des problèmes de dyslexie ou de dyscalculie, par exemple", fait valoir Guillaume Leboucher. Peut-être en 2021 ? Cette année-là, date de refonte complète de l'examen, le nombre d'épreuves écrites sera réduit à trois au lieu d'une dizaine aujourd'hui. La numérisation concernant les copies sera donc moins lourde à mettre en place.

Quid du rôle du professeur ?

Plus globalement, de nos jours, avec Internet, l’accès aux connaissances n’est plus l’apanage du professeur. "Il y a une forte crainte au sein du corps enseignant quant à l’usage de ces outils technologiques. Beaucoup craignent que cela conduise à la disparition de l’humain et son remplacement progressif par des machines, relève David Lacombled, fondateur de La Villa Numeris, un groupe de réflexion qui promeut un modèle européen du digital basé sur l'humain. "Regardez ce qu’il s’est passé l’an dernier avec Parcoursup, poursuit ce spécialiste du numérique. Les gens avaient le sentiment que c’était la machine qui décidait de l’avenir des enfants."

Selon Claude Terosier, fondatrice de Magic Makers, une association qui propose des ateliers pour apprendre le code aux enfants et ados de 6 à 15 ans, la figure du professeur ne va pas disparaître, mais son rôle est amené à évoluer. "Ce sera davantage un coach, pour soutenir les élèves en difficulté et hisser les élèves qui ont besoin d’être stimulés." Plutôt qu'un professeur face à des rangées d'élèves débitant son cours, cette enseignante en informaticienne préconise le concept de classe inversée. "Les élèves travaillent chez eux sur un ordinateur ou une tablette, ce qui libère du temps en classe pour développer la créativité, l’esprit critique et le travail collaboratif. Finalement, ce dont on le plus besoin dans la vie", souligne-t-elle.


Matthieu DELACHARLERY

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