Ils n’ont pas encore repris le chemin de l’école mais ils effectuent leur rentrée… militante. Ils sont plusieurs centaines de professeurs réunis, du 26 au 28 août, pour parler d’éducation et de lutte, à la faveur de la première « Université d’été des enseignants », dans l’écrin de verdure de la Cartoucherie de Vincennes (Val-de-Marne). Un rendez-vous qui s’inscrit dans la lignée des mobilisations, jugées inédites, de l’année 2018-2019.

Il y a là des professeurs qui ont fait « la grève du bac », refusant de corriger les copies ou de communiquer les notes. Il y a aussi ceux qui ont occupé leur établissement ou ont refusé de faire passer les évaluations à leurs élèves de primaire. Ils représentent quelques milliers d’enseignants qui se sont bruyamment mobilisés l’an dernier. Ce qui les relie : une commune aversion à l’égard des réformes lancées par le ministre Jean-Michel Blanquer, réformes qui selon eux ont pour but de préparer une école « à deux vitesses ».

Sur l’esplanade, plusieurs tentes ont été dressées pour abriter des discussions autour de la précaritédans l’éducation nationale, des projets éducatifs de la Révolution française, de la « LGBTQIphobie » à l’école, de la mobilisation des jeunes pour le climat ou encore des infox. « Cette université d’été est l’occasion de réfléchir aux questions de fond, et pas seulement de s’opposer à des réformes que nous jugeons délétères », glisse l’un des organisateurs, Alain, professeur de maths à Paris. Il s’agit aussi, poursuit-il, « d’entretenir l’élan qui s’est créé et de renforcer les liens ».

Faire des parents des alliés

Inscrit en grosses lettres sur une pancarte rouge, le mot « lutter ». Le micro passe de main en main. Maxime, professeur des écoles, raconte longuement les dessous de la mobilisation qu’il a contribué à mener dans sa ville de Seine-et-Marne, Chelles. À l’aise dans son exercice d’orateur, ce jeune enseignant raconte la relation privilégiée qui s’est bâtie, dans le combat, avec de nombreux parents d’élèves. « Ils ont accepté de se mettre en avant, de relayer nos messages sur Facebook, de se déclarer organisateurs de manifs pour nous éviter une répression de la part de notre hiérarchie », indique-t-il, avec reconnaissance.

Dans le public, beaucoup se disent surpris par l’ampleur et la tournure de la mobilisation. « Je n’avais jamais vu auparavant de manif sauvage de profs prêts à marcher sur le ministère, rue de Grenelle », s’enflamme une enseignante, qui précise être membre de la Confédération nationale du travail, organisation anarcho-syndicaliste. « Le fond de l’air était très jaune », analyse-t-elle.

La mobilisation des gilets jaunes a incité, estime-t-elle, nombre de ses collègues à une forme de radicalité. Et pourtant, « l’erreur des enseignants a été de regarder de haut ce mouvement », considère un professeur de sciences économiques et sociales, tandis qu’une jeune femme de l’assistance évoque, à voix basse, dans un jeu de mots involontaire, « un pur exemple de mépris de classe ».

Une seule revendication satisfaite

L’heure est désormais au bilan. Une seule revendication a véritablement abouti : Jean-Michel Blanquer a préféré retirer de sa loi un amendement LREM visant à autoriser la fusion de certaines écoles avec des collèges. Une seule revendication parmi tant d’autres (abandon des réformes du lycée et du bac, revalorisation des salaires, retrait de la loi sur la fonction publique, etc.). Et pourtant, beaucoup se refusent à parler d’échec.

Contraint par les correcteurs grévistes de « bricoler » pour prononcer coûte que coûte dans les temps les résultats du bac, « le ministre chouchou d’Emmanuel Macron a perdu de sa morgue », proclame l’un des participants. « Le mouvement nous a redonné confiance, une confiance dans notre capacité à mener des combats victorieux », se réjouit une autre enseignante.

Oui, mais comment ? Certains parlent de désobéissance, d’autres appellent à ne pas négliger la possibilité d’une grève reconductible. Comme le suggère une représentante du SNUipp, « il faut souffler sur les braises » en enfourchant deux chevaux de bataille : l’abrogation des réformes Blanquer et le rejet de celle des retraites, qui doit permettre de mobiliser bien au-delà de l’éducation.

Des membres de la CGT et de FO demandent à leur tour la parole, avant de s’attirer des remarques peu amènes sur l’attentisme supposé des syndicats. « La base fait le boulot et ils arrivent ensuite pour récupérer la mobilisation », déplore un enseignant, qui se dit pourtant lui-même syndiqué. Cette fois encore, les professeurs en colère n’attendront pas que les syndicats fassent le premier pas. « Nous avons prévu d’accélérer dans les jours à venir », assure Maxime, avec une première assemblée générale locale à Chelles, dès le mercredi 28 août, et une AG régionale à la Bourse du travail, à Paris, le lundi 2 septembre, jour où les élèves reprendront le chemin de l’école.